À bouquiner, à regarder en Albanie

Albanais d’ailleurs

34 % de la population d’Albanie vit hors du pays, faisant de la diaspora albanaise la troisième plus importante au monde. Deux très beaux romans évoquent cet exil particulier. Le premier est signé Gazmend Kapllani, écrivain albanais appartenant à cette diaspora. Son livre Le Pays des pas perdus (2019) est d’ailleurs inspiré de sa propre situation d’éternel émigré. À travers les retrouvailles de deux frères, le premier exilé de longue date et le second, resté au pays, Kapllani expose les arguments qui séparent ceux qui tiennent par-dessus tout au sol natal et ceux qui migrent. Le Paumé de Fatos Kongoli (1997) est la chronique d’un exil raté. Au dernier moment en effet, son héros Thesar Lumi quitte le cargo qui devait le conduire en Italie. S’ensuit son examen de conscience et un portrait drôle et grinçant de la vie à Tirana dans les années 1970. Plus près de nous, le documentaire Retour en Albanie, cinq ans après (2022) suit une famille albanaise que le rejet de sa demande de visa oblige à rentrer au pays natal. Mais en cinq ans d’absence, bien des choses ont changé, à commencer par leur maison en bien triste état… D’autres Albanais ont été plus chanceux. Ils partagent leur quotidien, entre vie nouvelle et attachement à leurs racines, dans le podcast Albanian stories, disponible sous Spotify (2022, 1 saison).

La vengeance dans la peau

Le Kanun est le code coutumier d’origine médiévale régissant la vendetta, que certaines familles nord-albanaises continuent d’appliquer. Et s’il n’y avait qu’un roman d’Ismaïl Kadaré à garder, ce serait Avril brisé (1983), dont le Kanun est justement l’un des thèmes centraux. Court et puissant, le roman confronte deux Albanies, celle de Gjorg, Albanais du Nord qui attend le châtiment selon les termes du Kanun, et celle de Bessian et Diane, mondains de Tirana fascinés par le Kanun. Le roman a été adapté au cinéma à deux reprises, en 1987 par Liria Bégéja et en 2003 par Walter Salles. Violente et imprévisible, la vendetta a inspiré d’autres réalisateurs, à l’instar du Français Jérémie Guez pour Kanun, la loi du sang (2022). Anvers y est filmée comme Hong Kong dans Infernal Affairs, l’atmosphère y est poisseuse, entre beauté et obscurité. Quant à la bande dessinée intitulée La Loi du Kanun et signée Jack Manini (scénario) et Michel Chevereau (dessinateur), elle explore la vendetta dans l’Albanie communiste des années 1960.